samedi 29 novembre 2014

Episode 46 : « Au bonheur de Yaya »

« Yaya ! » Ca y est, mon projet sabbatique est devenu réalité à la fin du mois de mars ! Un livre de 253 pages paru aux éditions Tamyras et un titre qui colle à la couverture depuis les premières lignes écrites en 2000. Et puis trois salons du livre se sont succédé : Paris, Genève et Beyrouth. Mais aussi plusieurs séances de signature très intenses faites de belles rencontres avec des amis, des amis perdus de vue et enfin retrouvés, des curieux, des gens de tous horizons, des lecteurs que je remercie du fond du coeur pour leur soutien, venus partager un peu de ce bonheur. Sans oublier la presse (voir encadré), souvent curieuse, motivante, gratifiante.
Chem el hawa
Cette histoire, j’avais besoin de me la raconter. Afin de me comprendre moi et mes origines. Près d’une année passée au Liban pour cela. Pour m’immerger, sentir, ressentir. Ecrire, déposer et partager. Avec près d’une quarantaine de blogs pour parler de ces découvertes et de tellement de belles choses et de belles rencontres depuis l’épisode 1.
Au-delà de l’envie d’écrire et de me retrouver, le besoin de liberté m’a également accompagné. Quitter mon train-train. Prendre des distances par rapport à la tyrannie de la cotisation sociale, du numéro AVS, de la nécessité d’être dans les rangs, d’une certaine petitesse aussi, de ceux que j’ai pu déranger. Un risque qui m’a néanmoins rattrapé au tournant. Au moment de revenir, de retrouver un travail, de me réinsérer dans des réseaux professionnel et social. Parfois oublié, boudé, ignoré, j’ai retrouvé une place et gardé le goût de cultiver mon jardin malgré tout. Un retour envisagé avec un peu d’angoisse et, au final, assez rassurant.
Je souhaite que nous ayons tous le temps, à un moment ou un autre, de profiter de notre temps ici, en pause sabbatique. À cet égard, tu n’imagines pas le nombre de messages que j’ai reçus de personnes qui sont parties voir ailleurs. Parties « sentir le vent », comme glorifié par l’expression « Chem el hawa ».
Un livre, un vrai !

Au fait, je ne t’ai même pas parlé de mon bouquin. Lorsque je l’ai tenu la première fois dans mes mains, je n’y croyais pas : une histoire que je voulais pour moi et ma famille est devenue un livre imprimé – un vrai ! – avec une couverture qui apparemment interpelle et plaît. Un bouquin avec un code-barres et un numéro ISBN ! Une vie à part entière quoi !
Puis, j’ai commencé à en feuilleter les pages légèrement jaunies, à le sentir de mes doigts… à le sentir tout court. Bizarre. Ensuite, des inconnus sont venus me demander une signature. J’ai sursauté. J’ai sorti quelques biscuits de leur bocal – et de la page 216 – et tout s’est bien passé. Après, la première signature ! En effet, très ému, je tremblais et laissais quelques ratures à un jeune lecteur très sympa. Puis, les rencontres se sont enchaînées, autour de Yaya, d’anecdotes que chacun comptait avec délectation. Avec d’autres auteurs aussi, notamment avec ce jeune homme étonnant et touchant qui voulait écrire juste pour lui et dont les textes séduisaient par leur simplicité, leur sincérité.
Après encore, il y a eu les salons, les tables rondes, la curiosité des uns et l’enthousiasme de ceux qui avaient déjà lu Yaya, quelques critiques aussi. Mais, je crois que l’essentiel réside dans les émotions : le trac avant de m’asseoir derrière le chevalet de table indiquant mon nom ; la joie du partage et de la discussion. Tout au long de ce processus, il y a encore une éditrice qui y a cru et qui a concrétisé et porté toutes ces pages avec une équipe géniale.
Tarte aux fraises
Au moment d’écrire ces quelques lignes, je suis attablé dans une pâtisserie du centre-ville de Genève. C’est un jour férié et j’ai pris congé de mon quotidien. La tarte aux fraises est un vrai délice. Minus mais tendre et douce comme je les aime.
Je pense à ces heures que je passais à écrire derrière mon bureau beyrouthin, vert pomme, à la chance dont je profitais dans ma bulle… au bonheur de Yaya qui m’animait et me porte toujours. 
À bientôt pour la suite !


Yaya dans les médias

En direct de l'émission de MTV sur le salon de Beyrouth.
Merci à tous les médias, francophones et anglophones, qui se sont intéressés à Yaya et lui ont réservé une bonne place dans leurs colonnes ou sur leurs ondes !

Editions Tamyras

·       7 et 15 mai, Tamyras

o   Au bonheur de Zahi


o   Zahi Haddad nous parle de son livre « Au Bonheur de Yaya »



Télé et radios

Sur le plateau du TJ de Future TV.
·       9 novembre, Future TV (TJ), Noor Akl


·       4 novembre, MTV, Le salon du livre en direct, Elsa Yazbek Charabati, Minute 18 :12


·       29 septembre, Léman bleu, Delphine Palma, Géraldine André, Le journal de la culture, Minute 6 :47 :


·       10 mai, Radio Liban, Les flâneries matinales, Nora Awad Naufal

·       6 mai, Radio cité, Lynne Mabillon





Presse écrite

·       Décembre, Home for a Writer, Home for Christmas (page 34)
http://www.homeformagazine.comhttp://www.homeformagazine.com
 
·       12 décembre, L'Hebdo Magazine, D'immigration et d'origine 
http://magazine.com.lb/index.php/fr/component/k2/item/10252-au-bonheur-de-yaya-de-zahi-haddad-d%E2%80%99immigration-et-d%E2%80%99origine?issue_id=160http://magazine.com.lb/index.php/fr/component/k2/item/10252-au-bonheur-de-yaya-de-zahi-haddad-d%E2%80%99immigration-et-d%E2%80%99origine?issue_id=160
 
·       3 novembre, Agenda culturel, Zahi Haddad au Salon du livre francophone de Beyrouth


·       25 juin, www.iloubnan.info, Elodie Morel, « Au Bonheur de Yaya » : tous les chemins mènent au Liban


·       26 mai, Art and Culture today, Nelida Nassar, Zahi Haddad Insightful and Captivating Autobiography “Au Bonheur de Yaya”


·       16 mai, sept.info, Thomas Dayer, « On est un tout fait de plusieurs morceaux »


·       7 mai, Beiruting.com, Au bonheur de Yaya au Hangout


·       6 mai, L’Orient-Le Jour, Zena Zalzal, Retour aux sources, « Au bonheur de Yaya », pour Zahi Haddad


·       5 mai, L’Agenda culturel, Florence Massena, « Au bonheur de Yaya » : Plongée littéraire dans une saga familiale et régionale


·       28 mars, Daily Star, Chirine Lahoud, Haddad on genealogy, nostalgia and catharsis



A Payot Cornavin: organisation impeccable et accueil adorable des visiteurs!

Clin d'oeil reçu de Hong Kong!

 

vendredi 15 novembre 2013

Episode 45 : mim… fa, sous-sol !

Rhodochrosite (copyright – mim).
À la veille de repartir pour les plaines lémaniques, je profite de quelques heures pour retrouver Beyrouth. Après avoir bouclé les dernières courses, dont mon habituelle récolte de douceurs orientales, je flâne du côté du Musée national et de l’hippodrome flanqué de ses magnifiques pins parasol. Le quartier du Mathaf a bien changé. Si rapidement. Un peu partout, des chantiers ont creusé le sol et bouleversé les habitudes. Une tour, qui semble disproportionnée, se jette dans le ciel, semblant vouloir faire de l’ombre aux bâtisses avoisinantes.
Mais, à un jet de pierre des colonnes en forme de papyrus du vieux musée, c’est une autre construction qui retient mon attention : le tout nouveau campus de l’innovation et du sport de l’Université Saint-Joseph (USJ). Je suis tellement interpellé par son architecture que j’en oublie de l’immortaliser. En marchant, je garde les yeux rivés sur ses formes et sa belle plastique. Le bâtiment est imposant et léger à la fois. Arrivé à son entrée, je découvre une affiche sur laquelle l’USJ annonce le 130e anniversaire de sa faculté de médecine, installée à quelques mètres de là.
1'400 « pièces de mim »
Juste en dessous s’annonce le musée des minéraux ! Ah bon ? Très surpris de la thématique choisie, j’ai envie de tenter l’expérience. Pourquoi pas ? En plus, l’institution n’a ouvert ses portes que depuis quelques jours. Les préposés à la réception m’accueillent avec plaisir : « Bienvenue au mim, c’est une journée porte ouverte aujourd’hui ! », me lancent-ils, tout même interloqués par mon propre étonnement. mim, la 24e lettre de l’alphabet arabe et équivalent du M (musée, mines, minerais) sert de nom à cet espace fier de ses 1'400 pièces provenant de 61 pays. 
L'entrée du musée des minéraux, mim (copyright – Z. Haddad).
L'atrium du musée des minéraux, mim (copyright – Z. Haddad)
Tout un programme que je m’empresse d’explorer en empruntant les escaliers qui plongent sous terre, juste à ma droite. Une volée de marches plus loin, je me retrouve dans un somptueux atrium. La pièce allie modernité et sérénité ; jongle avec les formes et les couleurs dorées ; et finit de piquer ma curiosité. Un regard presque intimidé sur ma gauche et je débute ma visite. Immédiatement, les premières vitrines m’emportent dans un monde méconnu. Après tout, qui a d’habitude envie de voir des minéraux ? Ben… moi !
Les yeux écarquillés, je commence par relire le tableau de Mendeleïev répertoriant les éléments qui ont agité mes cours de chimie, à l’époque du collège. Puis, je déambule au fil de couloirs et de salles à l’atmosphère intimiste. Au milieu d’une collection époustouflante. Imagine, quand même : 1'400 pièces d’une collection privée ! De quoi remplir une maison, son grenier et ses caves ! De quoi démontrer le joli brin de patience de Salim Eddé qui l'a constituée, depuis 1997, en puisant dans les découvertes minières ou les collections anciennes. « J'ai voulu partager cet étonnement pour l'esthétique du monde minéral sur lequel s’est construite la vie sur notre planète, explique ce dernier dans un communiqué de presse. Toutes les personnes qui n’ont jamais été exposées à ce monde ont naturellement tendance à demander : « Qui a sculpté ces formes merveilleuses et poli ces surfaces incroyablement plates ? Tant elles sont persuadées que de tels objets ne peuvent provenir que des mains d’un artiste et qu’il leur est impossible de croire que ce sont les forces de la Nature qui les ont créés. »
À l’ère du digital
Or, à ne pas confondre avec la Pyrite ci-dessous (copyright – mim).
Pyrite, littéralement, la pierre à feu, parfois confondue avec l'or (copyright – mim).
Je n’y entends rien, mais j’adore ! À croire que tout est prévu : les formes, les couleurs, les fonctions. Tu te vois spéléologue, explorateur, alchimiste, chercheur ! Et, côté information, tout est là : animations visuelles, écrans tactiles, projections audiovisuelles, le tout pour expliquer comment des atomes décident un jour de s’organiser pour constituer, sous la pression de l’eau, de la température et du temps, des cristaux qui eux-mêmes construisent des roches ou des métaux… des minéraux. C’est juste fabuleux. Tu te sens minuscule à leur échelle !
En observant ces pièces installées dans leurs confortables écrins sur fond noir, j’en viens à me projeter dans l’espace, comme dans un film de science-fiction. Mais, là, tout est bien réel. Terrien ! Je reviens alors sur la petite bleue et visualise ce que les métaux ont permis d’introduire, tout au long des siècles, dans notre vie quotidienne, que l’on parle d’art et de joaillerie, de chimie et de science, d’industrie et d’électronique. Je vois les échanges qu’ils ont créés et, avec eux, les voies commerciales, à travers la planète.
Je me dis d’ailleurs que, malgré l’absence de minéraux au Liban, cette bande de terre reste à la croisée des chemins, comme elle a toujours su le faire, en présentant, cette fois, ses « pièces de mim ». Et la Suisse dans tout ça ? A-t-elle des minéraux ? « Bien sûr », me répond avec un sourire la conservatrice adjointe des lieux, tout en m’entraînant vers une vitrine. Devant des quartz tout Helvètes, Carole Atallah manipule alors une immense mappemonde digitale sur laquelle elle trouve la Suisse avant de zoomer sur ses reliefs. Tellement simple, tu te croirais en plein milieu des montagnes valaisannes ! Et, encore une fois, je me sens heureux des ponts qui relient ces deux pays.
De retour dans l’atrium, je remercie mon hôte, dont je prends congé, joyeux de ma découverte du jour. En attendant de dénicher d’autres trésors insoupçonnés. Bientôt.

Une explosion de couleurs...
(copyright – Z. Haddad).
 ... et de formes (copyright – Z. Haddad).
"Mère Nature"... (copyright – Z. Haddad).

pour d'extraordinaires sculptures (copyright – mim).





jeudi 7 novembre 2013

Episode 44 : « Kaak, ya kaaaak ! »

Fast kaak! (copyright – Z. Haddad).
Mon séjour se passe plutôt bien, mais les jours filent sans que je puisse toujours en profiter pleinement. Une journée à la plage, par exemple, se transforme rapidement en une mosaïque de moments inattendus :
  1. « La sobhiyyé » : ça, c’est un incontournable pour commencer une journée libanaise. La matinée ou peut-être plus exactement la « matinaction » est un moment dont la durée est indéterminée, largement élastique et pendant laquelle voisins, amis, parents, sœurs, frères, arrières grandes tantes, oncles débarquent chez toi pour partager les nouvelles et potins de la veille, autour d’un café et d’une manqouché que chacun aura pris la peine d’apporter de ce qui doit évidemment être la meilleure boulangerie du pays. Je te dis pas le désordre matinal dans les rues du pays, notamment sur la belle autoroute qui laisse sa cicatrice le long du littoral et accueille tous les fours traditionnels, les artisans boulangers et autres pâtisseries, de même que toutes les voitures qui s’arrêtent, font demi-tour ou toutes sortes de manœuvres impensables ailleurs sur terre. Bref, pendant une heure ou deux, on se bise, se congratule, s’esclaffe joyeusement dans une ambiance bon enfant. Un régal si la plage ne m’attendait pas !
  2. « La tabkha » : mais, comme il est presque l’heure du déjeuner, on en profite tous pour s’attabler de concert et déguster la « tabkha » (cuisine traditionnelle) concoctée par la grande cousine Farida, arrivée le matin même de son village, là-haut sur la montagne. C’est en tout cas toujours quelqu’un dont tu n’as jamais entendu parler, mais qui a cuisiné en ton seul honneur ! Donc, toujours impossible de dire non. J’adore ! Un régal dans tous les sens du terme… si la plage ne m’attendait pas !
  3. L’assoupissement : après avoir goûté à la « kebbé » du village de là-haut sur la montagne, au « tabboulé » du jardin de la maison du village là-haut sur la montagne, au hommous, au baba-ghanouge, et à toutes les sucreries qui leur ont succédé ; après avoir remisé ton pique-nique amoureusement préparé le matin pour la plage ; après avoir endormi tout le monde autour d’un digestif café blanc (mélange d’eau et d’extrait de fleur d’oranger) qui n’a rien d’un café si ce n’est la tasse ; après avoir retenu ton souffle ; après t’être platement excusé de quitter une si belle compagnie qui trouve tout de même dommage de ne jamais te voir – un comble !; bref, après tout ça, tu en profites pour rassembler toute ton énergie et t’éclipser avant que l’on te demande d’aller raccompagner la cousine Farida, ses filles, son petit dernier et tous ses plats, là-haut dans la montagne…
  4. La digestion : celle-ci va durer un peu mais, au moins, tu es derrière ton volant, même si, entre deux bâillements, tu réalises que le soleil ne va pas tarder à se coucher. Le temps presse, il faut faire vite. Mais la cohue des voitures et des camions 50 tonnes finit de briser tes espoirs. L’embouteillage est monstre. Partout, des bagnoles, de la pollution, de l’indiscipline. Aux dernières livraisons du jour, s’ajoutent ceux qui rentrent chez eux dans un sens ou dans un autre, les shoppeurs tricotant entre les sens interdits ou uniques, ainsi que les touristes du jours à la recherche de leur chemin dans cet imbroglio ou des derniers cadeaux à embarquer avec eux.
  5. La multiplication : sur l’ancienne route de la mer, que j’arrive enfin à emprunter, mes derniers espoirs vacillent, avant de s’envoler. D’un côté, un barrage de la police fait passer les conducteurs au goutte à goutte. De l’autre côté, quelques automobilistes, plus malins que les autres, ont créé une troisième, puis une quatrième piste qui ont, toutes deux multipliées, presque fini de bloquer la route à double voie.
  6. La tenacité : je m’entête et après quelques heureux zigzags et autres manœuvres, j’arrive à bon port. Là, j’apprends que la piscine, dans laquelle j’envisageais de me jeter moi et tout mon dévolu, est fermée. Fin de saison oblige ! Il fait plus de 25 degrés et je ne peux pas me baigner ! Il y a bien la Méditerranée, que l’on me propose en dernier ressort, mais la mousse jaunâtre avec laquelle jouent les vagues me dissuade de faire trempette…
  7. L’aboutissement : dépité, je reprends la route et me laisse guider par le flux autoroutier qui me fait accoster une minuscule boulangerie, attiré que je suis par une immense pancarte présentant une appétissante et géante « kaaké ». Envahi par mes souvenirs d’enfance et par les cris du marchand ambulant qui les transfère d’une ruelle à l’autre – « kaaak, ya kaaaaaaak ! » – je commande presto l’un de ces délices en forme de sac à main recouvert de grains de sésame et tartiné de Picon, cousin fromagé et orientalisé de la Vache qui rit. Je n’ai pas la moindre idée dont est préparée la kaaké, mais je reste d’abord admiratif devant la dextérité avec laquelle elles sont farcies puis tranchées. La partie dégustation n’est pas en reste, puisque la pâte grillée au four croustille à volonté sous mes dents, libérant tous ses arômes et la douceur du fromage que je n’aurais jamais pensé pouvoir apprécier et qui, pourtant, me caresse le palais.
  8. Re-sobhiyyé : sur la route de mes pénates, je m’invente toutes les excuses qui pourront m’éclipser rapidement de la sobhiyyé qui se prépare déjà pour le lendemain matin. Tout en songeant à la façon dont j’aimerais y raconter mes aventures du jour…


mardi 22 octobre 2013

Episode 43 : Wadaana Wadih

Vendredi 11 octobre, Wadih as Safi décède à l’âge de 92 ans. La nouvelle investit rapidement les médias locaux. De mon coté, je ne percute pas vraiment. Pas tout de suite. Il me faudra quelques heures pour comprendre. Réaliser que la « Voix du Liban » s’est éteinte à jamais, même si je la retrouve déjà partout, notamment sur les réseaux sociaux que je suis. Mais tout cela me semble trop superficiel, trop banal et succinct, à l’image d’un laconique « R.I.P. » (rest in peace – repose en paix) qui m’attriste. Point d’hommage. Point de mémoire. Juste trois points à la suite de trois lettres.
Doux prénom
Pourtant, Wadih as Safi, c’est un monument de la chanson libanaise. Lui, qui a contribué à son renouveau, à  l’heure de l’omniprésence de la chanson égyptienne. Lui, qui a composé quelque 3'000 chansons mêlant folklore et poésie. Lui, le roi de l’impro et du mouwal, qui a su exalter l’amour, les valeurs morales ainsi que le Liban et chacune de ses parcelles qui en a fait sa renommée. Lui, qui avait cette voix incomparable, puissante et joyeuse. Sans oublier cette infinie douceur, inscrite dans son prénom même.
Pour moi, Wadih as Safi, c’est le Liban dans sa splendeur et dans ses envies les plus folles. C’est toute une époque, une tranche d’une histoire fondatrice qui semble pourtant nous filer entre les doigts pour ne laisser que beaucoup de nostalgie. Wadih as Safi, c’est le terroir et le folklore. C’est le Liban. C’est mon enfance et ma vie d’adulte. C’est le projet que j’ai envisagé et qui m’a ramené à mes origines. Wadih as Safi, c’est surtout un timbre unique et fier accompagné d’un oud guilleret et exemplaire, qui ont tous deux su m’ancrer dans une culture que je n’étais pas forcément appelé à connaître, moi qui ai vécu à distance, à cheval entre deux pays.
En faisant quelques recherches sur la toile, j’ai appris qu’il avait gagné un radio-crochet à 17 ans, avant d’aller au Conservatoire national. Puis, ce fut l’heure du succès, à la fin des années cinquante, via de nombreux films, opérettes et autres festivals, dont il a régulièrement partagé l’affiche ou les feux de la scène avec d’autres monstres sacrés comme Fairouz ou Sabah.
« Wadaana Wadih » : nous avons dit au revoir à Wadih, mais parions que sa voix continuera à bercer nos rêves libanais et humains.

Wadih as Safi sur le Net


jeudi 10 octobre 2013

Episode 42 : Un paysage, une émotion

 Horizon Zouk puis Beyrouth (copyright – Z. Haddad).

Plus d’une année après, je retrouve Jounié, ses vieilles maisons libanaises en cours de restauration et de réaffectation, ses baklavas et autres douceurs orientales, le parfum du café fraichement moulu qui s’envole de la petite échoppe faisant face au stade municipal et guide le badaud à travers un rectangle d’artères commerçantes. Dans ce quartier, bars, restaurants et boutiques se succèdent, à un incroyable rythme, dans un incroyable roulement, démontrant l’inébranlable esprit d’entreprise qui anime les Libanais.
Les rues me paraissent plus propres qu’à l’accoutumée, la circulation mieux domptée, l’urbanisme plus réfléchi. Cette impression, je l’ai en fait à chaque visite, tellement le chantier reste vaste et entier. Peut-être est-elle, cette fois, amplifiée par les conséquences des derniers soubresauts de la situation régionale, à commencer par un couvre-feu imposé aux migrants dans plusieurs municipalités et un certain manque d’envie. Comme d’habitude, certains portent leurs reproches sur une évolution que personne ne semble jamais maitriser, alors que les autres restent persuadés que cette nouvelle période de transition et d’attente, la der des der, permettra de stabiliser la région tout entière.
Que dire ? Faut-il choisir ou se dire que le Liban est ainsi fait, un incompréhensible cocktail de volontarisme interne et de fatalisme extérieur ?
En regardant la mer apaisée après la houle de la veille, je me rappelle les mots de Jean-Paul deux qui qualifiait le Liban de « message », une clef, peut-être, pour l’avenir. En me perdant dans l’horizon dominé par une fine couche jaunâtre de pollution, j’aperçois les tours fumantes de la centrale de Zouk, quelques cargos venus mouiller dans le port de Beyrouth pour décharger leurs marchandises, et la silhouette de la capitale ceinte de ses banlieues qui mordille au loin le ciel bleu.
À ma gauche, j’entrevois les montagnes, toujours plus grignotées par l’asphalte et le béton. Et, tout en haut, la pointe de la cathédrale de Harissa et la forêt de pins ancestraux qui la garde. Enfin, derrière moi, c’est le casino du Liban, antre des joyeux spectacles d’antan, puis Tabarja et le Nord.
Bain de lumières
Des milliers de lumières dont j'avais quelque peu oublié 
l'existence: encore plus belles lorsqu'on est myope 
(copyright – Z. Haddad).
C’est alors que je repense à une phrase attrapée au vol d’une conversation à bâtons rompus. Attribuée à un diplomate français, elle a déjà bien circulé de bouches à oreilles et je l’ai, pour ma part, accueillie avec plaisir et espoir. Elle ne veut pas tout dire et n’explique pas tout. Mais elle raconte déjà cette fascination qui accompagne le Liban à travers les siècles : « Le Liban n’est pas un pays, c’est un paysage. Il n’est pas une nation, mais une émotion. »
Alors, devant cette Méditerranée à l’azur rasséréné, transparent et scintillant au soleil d’octobre de ces mille et une lumières dont j’avais bizarrement oublié jusqu’à l’existence, j’admire ce morceau de terre, riche de beautés et de cultures, et je ressens un magnifique moment de calme et de joie.
Méditerranée d'octobre: le spectacle qui m'a accueilli après plus d'un an d'absence (copyright – Z. Haddad).

mercredi 5 décembre 2012

Episode 41 : « Fascination du Liban » !


Dans mon dernier blog, j'évoquais un événement « fascinant », auquel j’allais assister. Eh bien, je n’ai pas été déçu ! Jeudi 29 novembre, dans une ambiance pour le moins frisquette, qui m'a rappelé ma fin d'année 2010, j’ai en effet eu la chance de participer au vernissage de l’exposition « Fascination du Liban », qui dévoilera ses trésors jusqu’à fin mars, au Musée Rath.
Tout le gotha était réuni autour de quelque 300 pièces uniques présentées dans une ambiance des plus zen. Et, pour moi, c’était l’occasion de voyager à travers les millénaires, et de me projeter dans les croyances, les perceptions et les habitudes humaines d’un morceau de terre que j’adore. Le tout grâce à Marc-André, un guide passionnant, qui m'a inspiré l’article reproduis ci-dessous et paru aujourd’hui dans L’Orient-Le Jour avec une brève interview de Sami Kanaan, élu genevois chargé de la Culture.

Une fascination libanaise pour l’art, l’histoire et la découverte de soi


Maquette du temple de Deir al Qala’a :
un concentré de technicité et de spiritualité (copyright – Z. Haddad).
« Fascination du Liban » ? Une exposition unique qui jette de nouvelles passerelles entre deux Suisses. Entre deux continents qui se scrutent et se complètent. Avec délectation lorsqu’ils s’écoutent et se trouvent. Une exposition qui s’arrête aussi sur les relations que nous entretenons avec l’au-delà depuis soixante siècles et que nous fait découvrir Marc-André Haldimann, l’un des concepteurs chevronnés de l’exposition.
Le Musée Rath de Genève a vécu l’un de ces grands moments pour lesquels il a été érigé en 1826. Sanctifier les arts. Installé en plein cœur de la Cité de Calvin, ce « temple des muses » abrite aujourd’hui la « Fascination du Liban » pour quatre mois et de précieuses leçons d’histoire, qui s’apprêtent à se murmurer aux oreilles des Genevois en dévoilant des pans entiers d’une planète vivante et bariolée, traversant les millénaires et le Liban. Sous toutes ses coutures, avec tous ses paradoxes, message d’un avenir mâtiné, le Liban n’en finit plus de fasciner. Semble-t-il.
Mais, au-delà de la magie, il y a le rêve. Un voyage poétique et philosophique suggéré par Marc-André Haldimann, dont l’imposante carrure nous accueille avec un « Ahlan habibi » susurré avec délicatesse et délectation. Posté devant les imposantes colonnes corinthiennes de la vénérable bâtisse, l’archéologue déploie son double mètre, ponctué d’une tignasse rebelle, avant d’inviter au vernissage des 350 objets archéologiques et œuvres d’art, encore jamais exposés en Europe, qui ont fait le déplacement du Liban (voir notre édition du 1er novembre). Sur deux étages, repeints aux couleurs chaudes de la Méditerranée et de la divine pourpre du murex, une histoire exceptionnelle se raconte et se vit, animée par la ferveur du scientifique, qui traverse allègrement soixante siècles d’histoire de religions, d’art et d’archéologie, comme s’il y avait vécu.
Devant ses yeux, il détaille les rites funéraires de l’âge du bronze, l’évolution des croyances sous l’Empire romain ou l’avènement du christianisme et de l’islam. Le fil rouge, qu’il déroule avec toute sa bonhomie, dévoile des mondes chatoyants et les multiples facettes de la relation développée au cours des siècles entre les Libanais, le Divin et l’au-delà. Les collections libanaises présentées ajoutent à cette fascination, tout en montrant leur richesse: sarcophages monumentaux, mosaïques byzantines, stèles, statues votives, représentations divines, icônes, manuscrits melkites révèlent ainsi les civilisations, les rites et les croyances qui se sont succédé sur les rivages libanais.
Une nouvelle vie
Scrutés dans leurs détails, valorisés par une somptueuse muséographie et mis en scène avec Marielle Martiniani-Reber et Anne-Marie Maïla-Afeiche, tous ces fragments reflètent les incontournables influences égyptienne, chypriote, romaine, grecque, ottomane. Et, à lui seul, Marc-André Haldimann incarne ces complexités. À travers tous ces objets exposés, il insuffle un incroyable sentiment d’appartenance à une terre d’accueil, à l’humanité tout entière. Parce que cette exposition est vivante et qu’elle nous dit ce que nous sommes. Elle parle de ceux qui offraient une nouvelle vie à leurs morts en les accompagnant d’objets et d’offrandes de toutes sortes, pour les tenir à l’écart. Elle insinue comment d’autres ont commencé à s’interroger et comment ils ont, un jour, envisagé un au-delà, une vie après la vie. Elle interpelle nos croyances et pousse à la réflexion quant aux destinées que nous nous promettons et à ce qu’il en adviendra. Un jour.
Les yeux pétillants de leur passion accomplie, remplis de douceur et de satisfaction, Marc-André Haldimann ressemble à un artiste passionné. Il parle d’ailleurs de « révolte culturelle comme passage vers l’action culturelle », préférant ce qui rapproche et fait cohabiter les croyances. Depuis plusieurs années, avec ses deux consœurs, il travaille sur cette collaboration exceptionnelle lancée, en son temps, par Tarek Mitri, ancien ministre de la Culture, et Patrice Mugny, ancien vice-maire chargé de la culture genevoise, à qui Sami Kanaan a succédé en juin 2011 (voir encadré). Rappelons encore que l’association « Fascination du Liban », emmenée par Malek el-Khouri, a servi de lien entre ces deux rives de la Méditerranée et permis de compléter l’effort financier en mobilisant de nombreux mécènes privés, suisses et libanais, du plus modeste au plus important donateur, pour concrétiser cette coopération unique.
Parmi toutes les magnifiques pièces dévoilées à Genève, Marc-André Haldimann laisse ses pensées vagabonder dans la maquette du grand temple de Deir al-Qalaa. Datant du deuxième siècle, le petit bloc de calcaire tient dans la paume d’une main. Érodé, fatigué, il recèle de précieuses spécifications techniques. Mais il projette surtout, devant les yeux du visiteur, la foule des fidèles, plébéiens et patriciens, venus se recueillir et tenter de se connecter au Divin, à un tout indissociable et pourtant si insaisissable. Le temps d’un captivant questionnement de soi. Le temps, pour nous, d’une exposition... d’une fascination transcendée en « fierté du Liban ».


Un sarcophage représentant la légende d’Oreste (Tyr), baigné de
la lumière d’une remarquable scénographie (copyright – Z. Haddad).

Le murex, des dégradés de pourpre et
un hommage à Joseph Doumet (copyright – Z. Haddad).

Trois questions à Sami Kanaan, Vice-maire de Genève, chargé de la culture
Que représente cette exposition pour Genève ?
Cette exposition illustre bien la Genève multiculturelle, ouverte, internationale qui rayonne et collabore autour de projets culturels, humanitaires, économiques, avec le monde entier. C'est assurément une chance pour Genève que de pouvoir accueillir ces collections qui témoignent de la richesse patrimoniale, culturelle et historique du Liban. C'est aussi grâce à une collaboration exemplaire du Musée national de Beyrouth et du Musée d'Art et d'Histoire de Genève que celle-ci a été rendue possible.
Et pour vous-même qui êtes d’origine libanaise ?
C'est d'abord une joie toute simple pour moi que de pouvoir redécouvrir au travers de son patrimoine, l'histoire de mon pays d'origine. C'est aussi une fierté que de pouvoir accueillir cette exposition dans ma ville d'adoption, au moment où j'y dirige les affaires culturelles et sportives.
Avec divers autres projets, la coopération genevoise est très présente au Liban, cela va-t-il continuer ?
Je l'espère. Le Liban et la Suisse ont beaucoup de points communs, à commencer par la nécessaire diversité qui les composent. Je suis attaché à la coopération, au dialogue, à l'échange, qui sont pour moi les seules manières d'avancer par delà nos différences, d'abattre les frontières qui nous empêchent de progresser et d'aller vers l'autre.

Le Musée Rath paré aux couleurs de
la « Fascination du Liban » (copyright – Z. Haddad).