jeudi 7 novembre 2013

Episode 44 : « Kaak, ya kaaaak ! »

Fast kaak! (copyright – Z. Haddad).
Mon séjour se passe plutôt bien, mais les jours filent sans que je puisse toujours en profiter pleinement. Une journée à la plage, par exemple, se transforme rapidement en une mosaïque de moments inattendus :
  1. « La sobhiyyé » : ça, c’est un incontournable pour commencer une journée libanaise. La matinée ou peut-être plus exactement la « matinaction » est un moment dont la durée est indéterminée, largement élastique et pendant laquelle voisins, amis, parents, sœurs, frères, arrières grandes tantes, oncles débarquent chez toi pour partager les nouvelles et potins de la veille, autour d’un café et d’une manqouché que chacun aura pris la peine d’apporter de ce qui doit évidemment être la meilleure boulangerie du pays. Je te dis pas le désordre matinal dans les rues du pays, notamment sur la belle autoroute qui laisse sa cicatrice le long du littoral et accueille tous les fours traditionnels, les artisans boulangers et autres pâtisseries, de même que toutes les voitures qui s’arrêtent, font demi-tour ou toutes sortes de manœuvres impensables ailleurs sur terre. Bref, pendant une heure ou deux, on se bise, se congratule, s’esclaffe joyeusement dans une ambiance bon enfant. Un régal si la plage ne m’attendait pas !
  2. « La tabkha » : mais, comme il est presque l’heure du déjeuner, on en profite tous pour s’attabler de concert et déguster la « tabkha » (cuisine traditionnelle) concoctée par la grande cousine Farida, arrivée le matin même de son village, là-haut sur la montagne. C’est en tout cas toujours quelqu’un dont tu n’as jamais entendu parler, mais qui a cuisiné en ton seul honneur ! Donc, toujours impossible de dire non. J’adore ! Un régal dans tous les sens du terme… si la plage ne m’attendait pas !
  3. L’assoupissement : après avoir goûté à la « kebbé » du village de là-haut sur la montagne, au « tabboulé » du jardin de la maison du village là-haut sur la montagne, au hommous, au baba-ghanouge, et à toutes les sucreries qui leur ont succédé ; après avoir remisé ton pique-nique amoureusement préparé le matin pour la plage ; après avoir endormi tout le monde autour d’un digestif café blanc (mélange d’eau et d’extrait de fleur d’oranger) qui n’a rien d’un café si ce n’est la tasse ; après avoir retenu ton souffle ; après t’être platement excusé de quitter une si belle compagnie qui trouve tout de même dommage de ne jamais te voir – un comble !; bref, après tout ça, tu en profites pour rassembler toute ton énergie et t’éclipser avant que l’on te demande d’aller raccompagner la cousine Farida, ses filles, son petit dernier et tous ses plats, là-haut dans la montagne…
  4. La digestion : celle-ci va durer un peu mais, au moins, tu es derrière ton volant, même si, entre deux bâillements, tu réalises que le soleil ne va pas tarder à se coucher. Le temps presse, il faut faire vite. Mais la cohue des voitures et des camions 50 tonnes finit de briser tes espoirs. L’embouteillage est monstre. Partout, des bagnoles, de la pollution, de l’indiscipline. Aux dernières livraisons du jour, s’ajoutent ceux qui rentrent chez eux dans un sens ou dans un autre, les shoppeurs tricotant entre les sens interdits ou uniques, ainsi que les touristes du jours à la recherche de leur chemin dans cet imbroglio ou des derniers cadeaux à embarquer avec eux.
  5. La multiplication : sur l’ancienne route de la mer, que j’arrive enfin à emprunter, mes derniers espoirs vacillent, avant de s’envoler. D’un côté, un barrage de la police fait passer les conducteurs au goutte à goutte. De l’autre côté, quelques automobilistes, plus malins que les autres, ont créé une troisième, puis une quatrième piste qui ont, toutes deux multipliées, presque fini de bloquer la route à double voie.
  6. La tenacité : je m’entête et après quelques heureux zigzags et autres manœuvres, j’arrive à bon port. Là, j’apprends que la piscine, dans laquelle j’envisageais de me jeter moi et tout mon dévolu, est fermée. Fin de saison oblige ! Il fait plus de 25 degrés et je ne peux pas me baigner ! Il y a bien la Méditerranée, que l’on me propose en dernier ressort, mais la mousse jaunâtre avec laquelle jouent les vagues me dissuade de faire trempette…
  7. L’aboutissement : dépité, je reprends la route et me laisse guider par le flux autoroutier qui me fait accoster une minuscule boulangerie, attiré que je suis par une immense pancarte présentant une appétissante et géante « kaaké ». Envahi par mes souvenirs d’enfance et par les cris du marchand ambulant qui les transfère d’une ruelle à l’autre – « kaaak, ya kaaaaaaak ! » – je commande presto l’un de ces délices en forme de sac à main recouvert de grains de sésame et tartiné de Picon, cousin fromagé et orientalisé de la Vache qui rit. Je n’ai pas la moindre idée dont est préparée la kaaké, mais je reste d’abord admiratif devant la dextérité avec laquelle elles sont farcies puis tranchées. La partie dégustation n’est pas en reste, puisque la pâte grillée au four croustille à volonté sous mes dents, libérant tous ses arômes et la douceur du fromage que je n’aurais jamais pensé pouvoir apprécier et qui, pourtant, me caresse le palais.
  8. Re-sobhiyyé : sur la route de mes pénates, je m’invente toutes les excuses qui pourront m’éclipser rapidement de la sobhiyyé qui se prépare déjà pour le lendemain matin. Tout en songeant à la façon dont j’aimerais y raconter mes aventures du jour…


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