Fast kaak! (copyright – Z. Haddad). |
Mon séjour se passe
plutôt bien, mais les jours filent sans que je puisse toujours en profiter
pleinement. Une journée à la plage, par exemple, se transforme rapidement en une
mosaïque de moments inattendus :
- « La sobhiyyé » : ça, c’est un incontournable pour
commencer une journée libanaise. La matinée ou peut-être plus exactement la
« matinaction » est un moment dont la durée est indéterminée,
largement élastique et pendant laquelle voisins, amis, parents, sœurs,
frères, arrières grandes tantes, oncles débarquent chez toi pour partager
les nouvelles et potins de la veille, autour d’un café et d’une manqouché
que chacun aura pris la peine d’apporter de ce qui doit évidemment être la
meilleure boulangerie du pays. Je te dis pas le désordre matinal dans les
rues du pays, notamment sur la belle autoroute qui laisse sa cicatrice le
long du littoral et accueille tous les fours traditionnels, les artisans
boulangers et autres pâtisseries, de même que toutes les voitures qui
s’arrêtent, font demi-tour ou toutes sortes de manœuvres impensables
ailleurs sur terre. Bref, pendant une heure ou deux, on se bise, se
congratule, s’esclaffe joyeusement dans une ambiance bon enfant. Un régal
si la plage ne m’attendait pas !
- « La tabkha » : mais, comme il est presque l’heure du
déjeuner, on en profite tous pour s’attabler de concert et déguster la
« tabkha » (cuisine traditionnelle) concoctée par la grande
cousine Farida, arrivée le matin même de son village, là-haut sur la
montagne. C’est en tout cas toujours quelqu’un dont tu n’as jamais entendu
parler, mais qui a cuisiné en ton seul honneur ! Donc, toujours
impossible de dire non. J’adore ! Un régal dans tous les sens du
terme… si la plage ne m’attendait pas !
- L’assoupissement : après avoir goûté à la « kebbé »
du village de là-haut sur la montagne, au « tabboulé » du jardin
de la maison du village là-haut sur la montagne, au hommous, au
baba-ghanouge, et à toutes les sucreries qui leur ont succédé ; après
avoir remisé ton pique-nique amoureusement préparé le matin pour la
plage ; après avoir endormi tout le monde autour d’un digestif café
blanc (mélange d’eau et d’extrait de fleur d’oranger) qui n’a rien d’un
café si ce n’est la tasse ; après avoir retenu ton souffle ;
après t’être platement excusé de quitter une si belle compagnie qui trouve
tout de même dommage de ne jamais te voir – un comble !; bref, après
tout ça, tu en profites pour rassembler toute ton énergie et t’éclipser
avant que l’on te demande d’aller raccompagner la cousine Farida, ses filles,
son petit dernier et tous ses plats, là-haut dans la montagne…
- La digestion : celle-ci va durer un peu mais, au moins, tu es
derrière ton volant, même si, entre deux bâillements, tu réalises que le
soleil ne va pas tarder à se coucher. Le temps presse, il faut faire vite.
Mais la cohue des voitures et des camions 50 tonnes finit de briser tes
espoirs. L’embouteillage est monstre. Partout, des bagnoles, de la
pollution, de l’indiscipline. Aux dernières livraisons du jour, s’ajoutent
ceux qui rentrent chez eux dans un sens ou dans un autre, les shoppeurs
tricotant entre les sens interdits ou uniques, ainsi que les touristes du
jours à la recherche de leur chemin dans cet imbroglio ou des derniers
cadeaux à embarquer avec eux.
- La multiplication : sur l’ancienne route de la mer, que
j’arrive enfin à emprunter, mes derniers espoirs vacillent, avant de
s’envoler. D’un côté, un barrage de la police fait passer les conducteurs
au goutte à goutte. De l’autre côté, quelques automobilistes, plus malins
que les autres, ont créé une troisième, puis une quatrième piste qui ont,
toutes deux multipliées, presque fini de bloquer la route à double voie.
- La tenacité : je m’entête et après quelques heureux zigzags et
autres manœuvres, j’arrive à bon port. Là, j’apprends que la piscine, dans
laquelle j’envisageais de me jeter moi et tout mon dévolu, est fermée. Fin
de saison oblige ! Il fait plus de 25 degrés et je ne peux pas me
baigner ! Il y a bien la Méditerranée, que l’on me propose en dernier
ressort, mais la mousse jaunâtre avec laquelle jouent les vagues me
dissuade de faire trempette…
- L’aboutissement : dépité, je reprends la route et me laisse
guider par le flux autoroutier qui me fait accoster une minuscule
boulangerie, attiré que je suis par une immense pancarte présentant une
appétissante et géante « kaaké ». Envahi par mes souvenirs
d’enfance et par les cris du marchand ambulant qui les transfère d’une
ruelle à l’autre – « kaaak, ya kaaaaaaak ! » – je commande
presto l’un de ces délices en forme de sac à main recouvert de grains de
sésame et tartiné de Picon, cousin fromagé et orientalisé de la Vache qui
rit. Je n’ai pas la moindre idée dont est préparée la kaaké, mais je reste
d’abord admiratif devant la dextérité avec laquelle elles sont farcies
puis tranchées. La partie dégustation n’est pas en reste, puisque la pâte
grillée au four croustille à volonté sous mes dents, libérant tous ses
arômes et la douceur du fromage que je n’aurais jamais pensé pouvoir
apprécier et qui, pourtant, me caresse le palais.
- Re-sobhiyyé : sur la route de mes pénates, je m’invente toutes
les excuses qui pourront m’éclipser rapidement de la sobhiyyé qui se
prépare déjà pour le lendemain matin. Tout en songeant à la façon dont
j’aimerais y raconter mes aventures du jour…
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