mardi 8 février 2011

Episode 13 : Bon week-end, « estéz » !





Basta: un labyrinthe de bois, authentique
ou surfait? (copyright - Z. Haddad). 

Week-end improvisé. Week-end mouvementé.
Je passe une semaine froide et crue, pleine de « IBM » (épisode 3), à écouter des gens me dire : « Oui, bien sûr, aucun problème « estéz » (Professeur/ Monsieur en arabe), ne vous faites aucun souci, je passe dans dix minutes et en aurai pour une demi-seconde ! ». Au lieu d’un très carré et helvétique : « Il va nous falloir une semaine pour cette intervention, Monsieur, et cela impliquera telle et telle chose ». Droit au but. Concis.
Je n’ai jamais bien compris cette incapacité orientale à être transparent et clair. À savoir dire « non » quand nécessaire… bien que j’en sois parfois adepte… en Suisse ! Depuis un mois au Liban, on me dit de m’adapter et d’être plus flexible… comme je l’espère souvent de mon entourage… en Suisse. Un fournisseur, voulant se justifier, m’a même dit qu’il fallait que je pense différemment parce qu’ici c’est le Proche-Orient et qu’on y agit en membre d’une même famille ! Super ! Moi, je veux bien, mais, « estéz », j’adorerais aussi recevoir ce pour quoi j’ai payé ! Cela me rappelle la fameuse histoire des deux chaises entre lesquelles on est parfois assis. Quelqu’un a d’ailleurs dit un jour : « Pour ne pas m’ennuyer, je me rend schizo » ! Hmmmmm…
Vendredi ensoleillé
Alors, dans la morosité ambiante, je m’entoure des amis et de la famille. Fais quelques visites. Rencontre un vendredi soir inattendu, surprenant, agréable. À bâtons rompus. Je rigole. Aux éclats. Et me laisse gagner par une certaine joie de vivre très orientale. La joie aussi d’une libération qui m’est suggérée. Se dévoiler et oublier le reste. Je me sens un peu mieux assis sur mes chaises !
Samedi antiquaire
Les marchands de Basta
reformulent soigneusement leurs trésors
(copyright - Z. Haddad).
Samedi ressemble peut-être à LA journée « à la libanaise » – ou peu s’en faut ! Départ de Jounieh à neuf heures du matin pour passer sur mon chantier à Beyrouth et apprécier les excuses des uns et des autres : hautes en couleurs. Comme d’hab’. Bref. Je décide de ne pas y penser et de partir à pieds à la découverte de Basta (épisode 10). La mine antiquaire de Beyrouth qui, paraît-il, « n’est plus tout à fait ce qu’elle était, voire un peu surfaite, en raison des prix parfois élevés liés à son aspect folklorique », selon un ami. Je pars m’en rendre compte et rencontre mille et un Ali Baba, jaloux des trésors qu’ils bichonnent, retapent, reformulent. Soigneusement. Un souk sinueux de longs couloirs de bois empilé : des chaises du siècle passé, soixante-huitardes ou plus vieilles ; des tables rondes, carrées, basses, hautes, gigognes ; des buffets ; des porte-manteaux, et même quelques téléviseurs de l’époque où l’on parlait encore de « poste de télévision », cet imposant meuble en bois, juché sur ses quatre piliers. L’accueil est simple. Sans chichis. Authentique. Je papote avec les uns et les autres, tombe sur un coucou suisse et autres curiosités et lève un pan de tout un quartier encore inscrit dans une tradition orientale : marchés et vendeurs de rues, barbiers et bouchers jouant au tric-trac (épisode 4) sur le trottoir, foule bariolée, discussions à l’improviste entre voisins, cocktails de senteurs et de regards. Le tout bercé par un soleil timide et doux.
Je poursuis jusqu’à Zoukak al Blat, où je retrouve les pas et des miettes de mon enfance, écoute l’appel à la prière, déguste une « lahmé bi ajine » (succulente galette à la viande) chez Ichkhanian, établi là depuis plusieurs décades. Pense à mes grands-parents qui étaient installés juste là où il n’y a plus que gravats attendant de monter en un nouvel édifice. En un nouveau masque sur le passé de Beyrouth.
Comme l’aller, le retour se fait par le fourmillant carrefour Bechara El Khoury – le premier Président de la République – et celle que l’on appelle la « maison jaune », futur musée sis sur l’ex ligne verte. Encore des couleurs !
La maison jaune, futur musée et centre culturel urbain
en plein coeur de Beyrouth (copyright - Z. Haddad).

Samedi fondu
Taxi ! Retour à Jounieh… douche, puis montée dans les alpages… enfin, à Faraya, dont le domaine s’étire de 1860 à 2465 mètres. Pourtant, et malgré les pluies de la semaine, pas un flocon dans le village. Neige et spatules plus haut, m’affirme-t-on. Nettement plus haut. « Tu es sûr qu’il n’y avait pas de neige ? », me demandera-t-on à mon retour. Heu…
Donc, pour l’heure, place à la fondue que je déguste avec quelques « Amis de la Suisse », club constitué en 2008: je rencontre des Suisses du Liban, des Libanais de Suisse, tous réunis aux pieds du Cèdre, depuis plusieurs décennies pour certains. Une belle histoire d’amour qui dépasse les cultures et les traditions. Un dialogue permanent et joyeux.
Samedi surprise
Une surprise m’attend à Beyrouth. Un cousin est de passage. Je précise que le cousinage libanais peut être à géométrie plus que variable, tellement nous aimons remonter les degrés qui nous séparent de nos aïeux… et qui nous unissent ! « Mais, finalement, combien as-tu de cousins ? », me demandent souvent interloqués mes amis genevois, lorsqu’ils m’entendent. J’ai d’ailleurs introduit et élargi le concept à Genève avec quelques amis proches. Celui-ci, donc, je ne peux le manquer, ni l’heureux événement qu’il me dévoile. À Gemmayzeh, nous sommes une vingtaine à nous retrouver autour d’un zinc enfumé. Moi, qui étais tellement heureux d’échapper à la fumée genevoise depuis la loi interdisant le tabac dans les lieux publics, j’entends qu’un projet est dans les tiroirs libanais. À voir s’il en sortira.
Les rencontres battent leur plein : des gens aux profils et aux compétences multiples, heureux d’être ensemble. Dans le moment. Je me sens de mieux en mieux assis. Chacun est employé et fondateur de sa société ; détenteur de trois ou quatre diplômes dans des domaines diamétralement opposés ; habitant ou ressortissant de Beyrouth, Paris, Montréal, Dubaï, Banjul ; dans l’export, l’import, la banque, le graphisme, les relations publiques. Tout à la fois ! C’est l’auberge espagnole ! Bon, j’exagère un peu, mais c’est un peu le sentiment qui se dégage régulièrement tellement les projets et la créativité sont essentiels… et, puis, rebelote : en voiture pour Jounieh ! Le kilométrage s’affole. Au final, pour LA journée, il ne m’aura manqué qu’une piste de ski et un passage chez le masseur. Par exemple…
Dimanche taquin
Du coup, dimanche, je déclare la relâche pour écrire. Et pour retrouver mon vendredi. Après s’être trompé de direction, le taxi qui me conduit à destination m’avoue être un peu malentendant de l’oreille droite. Plus tard, je m’inquièterai en le voyant allumer le plafonnier de la voiture : aurait-il aussi un problème de vue ? Pas le temps d’y penser : sur l’autoroute, et  malgré mes réticences, nous zigzaguons déjà entre les voitures. Sur cinq voies. Mais d’où ça vient ça ? La récente limitation à 80 km/h et la présence de nombreux radars ne me rassurent pas pour autant, surtout aux périodes de pointe, où la proximité des pare-chocs et des portières permettrait presque de lire le journal du voisin ! « Dis-moi, Zahi, la circulation est un peu folle et désordonnée ici, non ? » m’avait une fois très diplomatiquement demandé un ami genevois en visite. Bref…
Mon vendredi revient donc ! Les bâtons sont gaiement rompus. Les tabous bannis. La franchise de mise. Tous les sujets abordés : l’inter culturalité, le soi, le moi, le pourquoi du comment. Constructifs et généreux. Philopsyhco, mmmmm ! Grandir ! Même l’ange qui passe s’amuse. Je me retrouve et me délecte de ces instants. Intenses, rares, nécessaires ! Humains. J’avais presque oublié. Mes chaises, jumelles, dégagent un sentiment de bien-être. La suite ? On verra. Pas de promesses, si ce n’est celle de persévérer.
« Ne t’en fais donc pas, estéz ! »

... avec un arbre emmuré, et ses étonnantes 
racines (copyright - Z. Haddad).
 
Tout près des galeries de Basta,
 cette rencontre improbable...

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