vendredi 9 septembre 2011

Episode 37 : Des "CH" tout en scintillance!


Eternelle Byblos (copyright - Z. Haddad).
De retour à Beyrouth, après les petites hésitations géographiques de mon épisode 34, je reprends mes esprits et décide, dès le lendemain, d’embarquer pour Byblos. Le vieux port et les ruelles ancestrales m’apaisent toujours autant. J’y passe la journée, me balade dans ses vieilles rues pavées, découvre les nouveaux charmes révélés par un louable effort d’urbanisation et de réorganisation. La fin de la journée approchant, je pars déguster une limonade fraîche et glacée dans un restaurant coulé dans la mer, comme un improbable appendice de béton. Hmmmm, faire la même chose dans le Léman pourrait représenter une sympathique manne… mais faut pas rêver non plus… et tant mieux d’ailleurs. Bref.
Tout en dégustant mes agrumes pressés, je m’expose au vent du large et à ses embruns. La sensation est des plus agréables. Je passe de longues minutes à scruter l’horizon rougissant du soleil couchant, avant de me retourner et de découvrir un point de vue sur lequel je ne m’étais jamais vraiment arrêté jusque-là. Dans la chaleur lénifiante de la brise, le port, la citadelle, les briques rouges traditionnelles des maisons libanaises m’ouvrent leurs bras. Que demander de plus ? J’adore ! En arrière plan, la montagne majestueuse, inlassablement picorée d’immeubles, de routes et de rêves immobiliers parfois inachevés. J’ai envie de remonter là-haut. Juste au-dessus de là où « la main de l’homme a largement mis le pied » !
La « scintillante »
Je décide donc de me rendre à Laqlouq (prononcer « la’lou’ » pour faire local), pas loin de Douma, dont j’entends parler depuis belle lurette, et de profiter, au retour, du festival de Ehmej, nouveau-né culturel d’une région encore très épargnée et témoin de traditions qui feraient pâlir – ou rougir, c’est selon – nombre de « citadins » bien installés dans une certaine modernité. Mais avant d’arriver au cœur de cette montagne jbeiliote, il faut évidemment rouler quelques kilomètres, depuis Byblos (Jbeil). Comme ailleurs, le dénivelé est impressionnant. Dans les montées, je suis irrémédiablement collé à mon siège et en profite pour apprécier le paysage qui défile dans ma petite lucarne, grande ouverte. Verdure, rochers, vallées, montagnes à pic s’enchaînent dans un cent pour cent vallonnements. « Mais, pas de vaches », me dis-je, à un moment, un brin nostalgique – et non moins surpris – de ces rencontres alpestres.
Au moment où les roues de la voiture passent le cap de Ehmej, les « Ehmejiotes » qui m’accompagnent – doit-on dire « Ehmejois », « Ehmejinois », « Ehmenjaux » ? – se montrent particulièrement fiers de leur hameau. Des décennies d’histoire, qui animent leurs veines, rejaillissent spontanément. Tout est absolument beau, magnifique et parfait ! Rien à discuter. Pourtant, le village est au début de son redéveloppement. Longtemps laissées à l’abandon, plusieurs maisons sont maintenant en chantier, l’urbanistique pointe à peine le bout de son nez, les routes sont en réfection. À l’image de ce champ de bosses, de trous et de cailloux qui nous secoue jusqu’ Laqlouq﷽﷽e champs de bosses qui nous secoue jusqu'uq. Sur plusieurs kilomètres, des trous, des cailloux, des crevas, on y accueà Laqlouq, où nous poursuivons notre route afin de rejoindre le déjeuner auquel nous sommes attendus. Malheureusement, là aussi, les estomacs sont quelque peu agités par une cuisine un poil trop grasse. Mais c’est là une autre histoire. La « scintillante » brille de son magnifique manteau de verdure et de ses rochers millénaires, patiemment sculptés par le temps inexorable. Mais c’est l’hiver qui a rendu Laqlouq célèbre. Sous la neige, ses pistes de ski dévalent les pentes tout au long d’un domaine couché entre 1700 et 2000 mètres. Et j’apprends que la station s’apprête à entrer résolument dans un vingt-et-unième siècle animé de nombreux projets immobiliers qui devraient la parer d’une nouvelle jeunesse.
En guise de balade digestive, nous nous rendons du côté du gouffre de Tannourine, imposant trou, au-dessus duquel un groupe de trekkeurs se laisse glisser le long d’un câble tout en tyrolienne. Les cris de ces jeunes se libèrent de leur adrénaline avant de se perdre dans le calme olympien des lieux qui semblent absorber le moindre bruit. Imperceptiblement. Discrètement. Eblouis par la vue spectaculaire, nous nous laissons emporter, de façon inexplicable, par un fou-rire aussi inattendu que libérateur. C’est ainsi que nous retournons sur nos pas et regagnons Ehmej. Légers. Heureux. Prêts pour la fête, qui se prépare calmement dans le silence qui nous accueille. Le silence et la fraîcheur de la montagne. Il ne manque que le carillon des cloches de vaches résonnant dans le lointain… décidément, l’ambiance bovine domine mon imagination ! Mais, qu’elle est belle cette sensation, cette solitude alpestre, sous le seul ciel étoilé, accompagnée par ce tintement distinctif pour point de repère dans l’obscurité.
Impériales, les montagnes de Tannourine embrassent...
... leur gouffre (copyright - Z. Haddad).
« CH » comme Confédération helvétique?
Une fois la fête lancée, tu déambules non seulement au milieu des stands de spécialités locales, comme autant de bonheurs, mais aussi… des cousins et des cousines ! Tout le monde se connaît et se trouve un aïeul commun, à degrés plus ou moins proches : hallucinant !
À Ehmej, c’est aussi la tradition qui t’accueille. Chargée. Imperturbable et sûre d’elle. On y vit encore en clan, les uns avec – voire sur – les autres, on s’y raconte les histoires des uns et des autres, on y respecte des coutumes qui paraissent parfois un peu vieillottes, notamment lorsqu’il s’agit de relations affectives, on y accueille l’étranger à bras ouverts et beaucoup de curiosité, bien sûr, on y offre une hospitalité que les « grandes villes » ont souvent oubliée. C’est un autre monde, aussi ancestral que pétri d’humanité. Les habitants, montagnards dans l’âme, te reçoivent au son de leur accent si particulier, en ajoutant des « i » ou des « ch » à chaque fin de mot. « Ech bek ? » (Qu’as-tu ?), « Ma beddich » (Je ne veux pas), « Affich » (Il n’y a pas), autant d’expressions savoureuses solidement ancrées dans les habitudes locales. Et dire que, en montant, je n’ai pas trouvé la fameuse ville de Méchméch, sur laquelle ne tarit pas une amie qui se reconnaîtra, ambassadrice chevronnée de son village d’origine, véritable métropole incontournable à l’en croire. Ce sera pour une prochaine montée… au fait, je me demande ce qu’il se passerait si on enlevait les fameux « ch »…
Songeur et ravi de cette balade, je rentre à Beyrouth, la tête pleine de ces moments uniques et affables, dont on rêve lorsque l’agitation urbaine dévore notre quotidien d’un peu trop près.

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